Au bord d' un champs, près du ruisseau, rassemblés autour d'une immense flambée, ils sont tous là, les yeux brillants d'une étrange fièvre. Ce soir,  tout ce qu'ils rejettent de la société   s' embrase devant eux.

Les flammes projettent leurs ombres sur les toiles des tentes réparties alentour, fantômes de géants vacillants, qui paraissent hésitant. Pourtant, leur détermination est forte, une sorte de rage les anime. On le comprend de ceux qui n'ont rien à perdre, mal-payés, mal-insérés, mal-logés, mal-aimés, mais certains regardent leurs pauvres acquis partir en fumée avec la même tranquillité, soulagés par la cohérence retrouvée.

 

Les premières étoiles apparaissent, la nuit sera belle et sèche, peut on y voir un bon présage? Qu'une poignée de fous, animés par la rage,  toujours au front pour lutter contre les attaques libérales immole son confort un soir de désespoir, c'est une chose. Mais, c'est sur toute la planète, qu' à la tombée de la nuit , les feux  se multiplient. Vue d'un des nombreux satellite d'observation, la Terre doit ressembler à un ciel semé d'étoiles. Prévus au départ comme actes symboliques, réponse à la dernière loi  humanicide de l'organisation mondiale du commerce, les feux ont été utilisés par les militants les plus radicaux comme geste de rébellion.  Certains ont commencé à nourrir les flammes avec leurs contrats de travail aliénants, les factures des objets superflus, les contrats de fourniture d'énergies polluantes, les cartes d'identités ne servant qu'à refouler les indésirables par charters meurtriers, les décomptes des  crédits qui les enchaînent au système...

 

Folie contagieuse se répandant de foyer en foyer, prise de conscience simultanée , les rancoeurs qui couvaient  depuis trop longtemps sous la braise trouvent enfin un moyen d'expression. Les millions de résistants à la mondialisation créent leurs étoiles d'un coeur léger.

 Voyant  de loin ces lueurs d'espoir  , les voisins , intrigués, alertés,  croient à une fête, pourquoi les détromper?  Ils s'approchent, se renseignent, s'interrogent, puis ,  selon la prégnance du système en eux , adhèrent ou fuient.

 

La nuit avance, les manifestants s'organisent, couchent les enfants dans des tentes, partagent la nourriture, les pulls et les couvertures. De petits groupes se mettent à chanter, danser ou lire des poèmes, d'autres discutent, tous découvrent le bonheur d'être ensemble, la chaleur de l'amitié, la force de la collectivité.

Les flammes diminuent, ils refusent de brûler du bois sans raison. Maintenant , ce sera ressource nécessaire, alors autant ne pas l'utiliser pour le plaisir si la température est assez douce.

 

 De groupe en groupe, se transmet l' euphorie, tout le monde fête la  rupture, la reconquête du destin. Esclaves de la domination économique heureux de s'être affranchis, tous savourent l' instant, sans angoisse de l' avenir. L' exaltation grandissant, il devient très difficile, pour les organisateurs de modérer les envies de vengeance, de représailles qui viennent à certains. Discussions, raisonnements , contraintes, n' empêchent pas une poignée de minoritaires en colère  d' aller réveiller les chefs d' entreprise, les banquiers et leurs complices politiques, et même, parfois , d' incendier leurs usines, magasins ou maisons.

 

Il est  tard,la fatigue ayant raison de tous, les plus hargneux sont enfin de retour, près du brasier ou une faible lueur persiste. Tous vont se coucher. Ne restent que d'incurables rêveurs, qui contemplent l' ultime rougeoiement de cette nuit unique, et s' interrogent en silence, en pensant à demain...

 

Demain, lorsque tous les feux seront éteints et qu' il faudra tout rebâtir, reconstruire, recréer une société ,faire naître une utopie des cendres d'un feu de joie.

 

14 janvier 2004

 

 

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