Pluies de mars.


La ville en ce 8 mars était comme ma vie: pratiquement désertée par les hommes. En regardant les passants, comment croire que les femmes ne représentent que la moitié de l'humanité ? Je m'en étais interrogée ouvertement à ma voisine dans le petit train. Elle me répondit d'un air complice:

-y'a un match!


Solidarité de genre bienvenue en ce jour, quand elle m'avait vu errer désemparée, sans savoir où aller pour échapper au supplice des gouttes d'eau qui rythmaient ma déveine, elle m'avait invitée à me joindre à leur joyeux pique nique sur la place.


-Il ne pleut que sur les gens mouillés, me disait l'ami Paul dans le temps. C'était l'époque où je pouvais encore chanter à tue tête cette chansonnette pour motiver mes enfants à mettre leur parapluie dehors: «il pleut dehors il pleut, et c'est tant mieux... -petit silence, le temps qu'ils protestent... - Car s'il pleuvait dedans je ne s'rais pas content!!»*. Rires, soulagement apporté par cette chute qui les faisait relativiser.


Mais à ce moment de ma vie, il pleuvait aussi dedans.


L' incessant plic-ploc des gouttes, sur la bâche protégeant ce qui me restait après le partage des biens du ménage, m' était devenu insupportable. Même sans la voir, je ne pouvais plus penser qu'à l'eau sale qui s'immisçait partout, souillait les meubles, les murs, le sol. Alors, au mépris du froid et du vent, j'étais sortie.


J'aurais pu aller prendre un sandwich au bistrot avenue des amis. Mais il était impossible de se mettre en terrasse. Alors j'avais préféré garder à ce lieu le souvenir d'un bon moment au soleil avec un ami, un lendemain de Saint Valentin. Puis j'ai vu des femmes en sortir avec une rose à la main. Etonnée, je fouillais dans la mémoire de mes jours accidentés à la recherche d' un repère temporel, quand elle m'avait interpellée:

-Viens! Qu'est ce que tu fais là toute seule? Viens manger avec nous!

Tout ce que la ville comptait de militantes pour les droits des femmes était réuni sous un chapiteau. Toutes vêtues de rouge elles pique-niquaient ensemble.

-Je ne savais pas, je n'ai rien prévu, rien porté à partager...

-Pas grave, y'a assez, allez viens!


La journée avait suivi le cours prévu par les associations: je m'étais jointe au train des femmes qui sillonnait la ville. Aux escales les chants, les danses, les contes interpellaient les passants.

Un slam aux mots très crus avait déclenché des réactions parmi les auditrices:

-Ce sont des mots d'hommes, la poésie en plus! Avait dit l'une.

-Si encore les hommes étaient poètes... avait soupiré sa voisine.

J' avais eu une pensée émue pour l'homme, qui sans partager mes jours ni m'offrir de parapluie contre les déboires de l'existence, enchantait cependant ma vie des mots doux de notre histoire.


L'après midi était bien avancée, il allait bientôt être l'heure de rentrer ouvrir ma porte aux besoins d'hygiène des locataires embarqués dans la même galère sanitaire que moi. J'avais quand même de la chance, on la trouve où l'on peut! Si toutes les eaux usées de l'immeuble tombaient dans ma cuisine étant sous la fuite, j'étais la seule à pouvoir me servir de l'eau. Luxe que j'appréciais au point de le partager. Avec les autres locataires nous avions découvert les contraintes de la vie en communauté: horaires affichés sur ma porte et tour de rôle pour les douches. Certains avaient pris la situation avec le sourire, d'autres se plaignaient du dérangement et de tout. D'autres encore, découragés par le froid qui règne dans mon appartement, avaient trouvé d'autres solutions pour leurs ablutions.


Il était donc temps de rentrer à l'abri des giboulées, affronter la soirée et toutes mes pluies intérieures.



 10-15 mars 2008



*chanson d'Henri Dès

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